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A propos de l'oeuvre

Texte de Marie José Armando pour la revue "Mille et une Tunisie"

 

Je travaille essentiellement la terre, mais je me situe en marge de la céramique puisque, la plupart du temps, je laisse la terre nue, sans émail (seulement biscuitée), généralement de la terre blanche. Ma démarche est plus proche de ce que l’on nomme « installation » dans l’art contemporain. Même si ici, à la librairie-galerie Fahrenheit 421, je présente des installations en modèle réduit, plus intimes. Comme dans des œuvres de grand format, ce qui m’intéresse ce sont les rythmes, les jeux d’ombre et de lumière créés par la répétition, et la mise en relation, de formes très simples, presque semblables, inspirées de structures élémentaires d’objets naturels.

Dans les compositions murales, j’ai privilégié les œuvres dans lesquelles la terre, travaillée en plaques très fines, évoque le papier ou le parchemin.

J’expose pour la troisième fois dans ce lieu, conçu dès le départ pour être à la fois une librairie et une galerie. Il impose de ce fait des contraintes liées à l’espace : impossible d’imaginer de grandes installations au sol, comme j’avais pu en concevoir pour une exposition conjointe à l’Espace Sadika à Gammarth et à la librairie Fahrenheit en 2009. Mais en même temps ce lieu particulier induit un regard différent, plus méditatif, plus concentré, plus proche de l’univers du livre, qui convient bien à l’esprit de mon travail.

 

 

Le travail en Tunisie et en France n’est en effet pas exactement le même, d’abord parce que ce ne sont pas les mêmes lieux dans lesquels on me propose d’exposer. Dans le Centre National de la Céramique d’Art Sidi Kacem Jélizi, où j’ai exposé avec son directeur, Mohamed Hachicha, en 2010, c’est cette architecture magnifique qui m’a donné envie de prendre pour point de départ le motif traditionnel de Jnérotifa (Aile d’hirondelle) des carreaux qui entourent le patio, et d’entrer en résonance avec ce lieu chargé d’histoire.

En Tunisie je me sens aussi beaucoup plus libre de travailler sans me préoccuper des cloisonnements qui sont si forts en France entre céramique et art contemporain.

 

 

Cette ouverture des Tunisiens à l’utilisation de la terre dans l’art contemporain est d’autant plus remarquable qu’ils ont, en effet, une longue tradition de travail de la terre, et de la céramique en particulier. Le décor de la céramique traditionnelle tunisienne est extraordinaire par la richesse à la fois de ses couleurs et de ses graphismes (tout à fait à l’opposé de mon travail !)

La terre cuite, sans émail, est également très présente en Tunisie, plutôt réservée, il me semble, à la poterie utilitaire et populaire. Elle me touche également beaucoup par la simplicité de ses formes, leur évidence, par ce côté hors du temps, très primitives, et en même temps très actuelles dans leur dépouillement. 

 

 

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Texte de présentation de l'exposition Pierres brûlantes, terres brûlées, Maison des Artistes, Cagnes-sur-Mer,1999

 

Marie José Armando joue avec la terre. Les enfants, autrefois, disaient "à" la terre. Aucun jouet ne la valait pour faire pousser l'imaginaire. Les mains y façonnaient leur intelligence et, de même qu'en poésie où le premier vers entraîne les suivants, l'esprit découvrait, émerveillé, ce qui se faisait en dehors de lui. Marie José Armando a gardé cet équilibre privilégié de l'enfance entre la vue et le toucher. Dans la chaleur modérée -pour un four-, elle cuit le grès chamotté, la terre à raku ( raku, en japonais, signifie : aise, joie, bonheur) et en fait des pierres à toucher, douces comme la peau des très jeunes enfants, plus douces et fragiles que la plus fine porcelaine. Et afin que cette grâce ( faveur et beauté réunies) soit honorée, les pose sur des cubes enfumés à l'aspect rude, métallique. Parfois ces cubes noirs s'élargissent jusqu'à devenir des dalles. Comment alors ne pas penser à des pierres de gué, aux pavillons de thé où, selon Tanizaki, "le bruit de l'eau qui bout évoque le vent dans les pins".

Marie José Armando, à sa manière discrète, nous convie à une nouvelle cérémonie zen.

 

Alain Lambert

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Marie José Armando ou la terre émerveillée

 

Matisse ne disait-il pas que la main de l’artiste, au sommet de sa sensibilité, « chante pour elle seule »? N’est-ce pas aux travaux du potier que se peut le mieux attribuer ce miracle ? La ductilité de l’argile sous ses doigts va abandonner sa pesanteur pour acquérir une perfection des formes qu’enrichit, en les sublimant, la ferveur des émaux.

Certes comme l’architecture, la poterie fut, cela depuis sept mille ans, une compagne usuelle pour l’homme. Un objet d’utilisation. Mais dès la préhistoire, associant un souci d’élégance des formes à l’éclat des chromatismes qui la distingue des autres objets ménagers, elle s’apparente aux arts naissants. Dès la plus haute antiquité elle se confond avec la sculpture ; la terre cuite atteint, en Étrurie par exemple, un niveau plastique insurpassable : l’Apollon de Véies en témoigne bien des siècles avant notre ère.

Cela dit, pour attester- mais est-il nécessaire de l’écrire ?- que le pot n’est plus depuis longtemps le référent de l’œuvre du potier, même si, aujourd’hui, sous des formes analogues, le « pot » peut encore engendrer des chefs-d’œuvre, ce que nous confirment des travaux comme ceux de Pierre Mohy, de Collet, de Heldberg…

Mais ici c’est de l’œuvre de Marie José Armando dont il est question, qui a acquis son indépendance vis-à-vis du tour. Elle utilise la plupart des terres susceptibles d’être valorisées par la conjonction, l’affrontement, terre/feu qui bouleverse et métamorphose la qualité des deux éléments pour les restituer dans une viabilité transcendée. Choisissant, selon la nécessité de son propos ici le grès, là la porcelaine, ailleurs la faïence, elle obtient des œuvres d’une délicatesse extrême ou bien, à l'opposé, des formes compactes, robustes (ici galets). Ces derniers travaux néanmoins sont marginaux dans l’ensemble de l’œuvre d’Armando qui est davantage séduite par la fragilité, presque l’immatérialité, auxquelles peut atteindre le matériau qu’elle utilise. La plaque de terre peut être amenuisée jusqu’aux limites du sensible : la porcelaine devient page, pages translucides d’un livre dont la gracilité, la finesse voisinent l’irréalité. Lamelles qui garderont l’empreinte d’étoffe/support insérée dans la chair de la terre et dont le vestige subsiste fossile.

Issues de ces feuilles de porcelaine naissent mille figures dues à l’ingéniosité de la céramiste. Outre le livre, première connivence, elle va les enrouler sur des tiges, les faire éructer de cratères ou les abandonner comme feuilles mortes au gré du regard… Le langage est ici impuissant : il faut les voir, les effleurer -plutôt d’un souffle que d’un doigt- ou à défaut, regarder les documents photographiques qui en témoignent.

 

Une main experte et amoureuse a modelé ces formes avant de les confier aux vertiges du feu. Ces œuvres venues d’un artisanat nécessaire, le dépassent pour susciter la naissance d’un monde inconnu, celui perçu par notre sensibilité pour la délectation du cœur et de l’esprit.

 

Jacques Lepage

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