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Catalogues

Centre National de la Céramique d'Art Sidi Kacem Jelizi, Tunis, (8-28 mai 2010), Tunisie. Préface de l'exposition​"Jneh khottifa".

Il n’a pas été besoin d’attendre que la société mondialisée rapetisse la terre à la dimension d’un village, ou pour parler plus poétiquement à celle d’une orange, bleue comme la figurait le poète Paul Eluard, pour que deux traditions puissent se croiser, deux origines se reconnaître, deux cultures se rencontrer. Les échanges de rive à rive, de pays à pays, de continent à continent ont depuis longtemps fait fi des obstacles, aussi bien physiques comme ceux que la géographie paraît dresser, que psychologiques et culturels comme ceux que peuvent susciter les habitudes et les traditions. Celles-ci ne s’enferment-elles pas parfois dans la suspicion, la défense, le rejet, pour légitimer la fermeture, l’incompréhension, l’incommunicabilité, accrues souvent par la barrière des langues et celle des mentalités que des siècles, voire des millénaires, ont conforté en certitudes étroites et localisées ?
Pourtant la curiosité et le désir animent de façon marginale des individualités singulières, souvent pionnières, qui inaugurent ainsi le dialogue des cultures et des civilisations. Les explorateurs et les marchands ont eu leur part, noble ou vile, dans l’ouverture de ces citadelles. Les lettrés, les savants, les artistes, plus curieux encore et plus désintéressés, les ont suivis de peu, parfois précédés, et ont construit des liens d’autant plus forts et durables qu’ils étaient souvent immatériels. C’est qu’ils surent d’emblée faire preuve d’un état de disponibilité et d’ouverture, d’aventure aussi, les portant à la découverte et à l’enrichissement par la rencontre de l’Autre. Pourtant cet « Autre » n’est pas toujours si frappé d’altérité qu’il peut paraître, car certaines pratiques, apparemment différenciées, tirent leur origine de la même source, dans la permanence d’un exercice millénaire commun, dont d’ailleurs la céramique, plus que tout autre discipline artistique à l’exception sans doute de la taille de la pierre, est dépositaire. Deux mains qui façonnent la terre : quel geste plus archaïque et plus universel ? Plus constant et cependant plus contemporain, alimenté aux archétypes essentiels communs à toute l’humanité ?
Deux artistes se croisent, d’abord presque par hasard sous les auspices de Sidi Kacem Jelizi, puis se rencontrent et mutuellement s’approfondissent. Le saint homme qui autrefois modelait l’argile à l’instar du geste divin façonnant l’homme, n’a-t-il pas lui aussi quitté une rive pour en embrasser une autre, pour cela traversé une mer et changé de continent, apportant ainsi en Tunisie une technique et un motif nouveaux ? On ne s’étonnera donc pas qu’en son lieu tunisois, il fasse aujourd’hui l’hospitalité à deux artistes différents auxquels il offre, par-delà les siècles, son bienveillant parrainage. Différents par le sexe, l’âge, la nationalité, la tradition et l’esthétique, Marie-José Armando et Mohamed Hachicha sont réunis ici dans un dialogue dialectique tout autant alimenté par leurs oppositions et différences, chères aux structuralistes, que par leurs complicités découlées progressivement de leur confrontation dans un faire commun.
Marie-José Armando pratique la céramique d’une façon qu’on peut qualifier de « minimaliste ». Son esthétique s’apparente à une tradition formelle japonaise qui, confortée par sa maîtrise remarquable du « raku », l’a souvent faite étiqueter de « zen ». L’économie de son art, d’une extrême sobriété, préférant la révélation des formes à l’habillage des surfaces, lui fait souvent privilégier la cuisson à cru du simple « biscuit », s’abstenant par là de tout émail. A l’inverse Mohamed Hachicha est porté par une dimension lyrique qui mobilise les ressources de la couleur et de l’émail selon une audace sans cesse renouvelée. Celle-ci témoigne du dynamisme fécond de sa créativité toujours en mouvement et d’une inventivité qui réserve encore bien des surprises. Son ancrage dans une certaine tradition arabe de la céramique se reconnaît pour partie à son goût des empreintes mettant une fois de plus en exergue la force dynamique et esthétique de la calligraphie, en elle-même atemporelle et donc en accord quasi spontané avec une modernité dont il a le souci.
Par la confrontation de ces deux œuvres, différentes d’origine et d’esprit, la célébration d’un dialogue original est ainsi proposée : l’observation et la découverte mutuelles, le partage et l’échange dans un travail conjoint autour d’un projet concerté, permettent la mise en évidence d’une communication esthétique, d’une complémentarité culturelle qui, sans atteindre l’osmose, offre en ce lieu habité, une installation à la fois audacieuse et harmonisée.
Comme l’annonce le titre de cette exposition, c’est le motif décoratif traditionnel de « l’aile d’hirondelle », si présent ici au point d’être l’une des marques originales du lieu, qui a été le point de départ de ce projet. Il est approprié puis décliné par les deux artistes qui s’affirment sans défiance chacun dans leur identité, et rencontrent ainsi l’autre sans se dissoudre. Il est relativement rare que deux créateurs parviennent ainsi, mieux qu’à cohabiter, à creuser leur pratique dans une œuvre concertée qui tienne à ce point compte de la présence de l’autre. Cela requiert non seulement des qualités artistiques mais humaines rares, où notamment la rivalité des ego, si courantes parmi les artistes, a été parfaitement maîtrisée, ou plutôt joyeusement et complicément dépassée. Au fond l’expérience à laquelle il était courageux de s’exposer pouvait échouer. Elle est ici au contraire tout à fait concluante, selon une triple articulation : entre les fortes caractéristiques de l’esthétique et de l’esprit du lieu d’une part, et les personnalités des deux artistes d’autre part.
Face-à-face donc, et côte-à-côte, ensemble et singuliers, voici offert un bel exemple d’interculturalité qu’on souhaiterait voir plus fréquemment pratiqué par les artistes autant qu’encouragé par les institutions. Dans notre monde rendu de plus en plus petit et familier par les moyens de la technologie, c’est là aussi, un puissant témoignage d’optimisme humaniste en même temps qu’une vaste ouverture au renouvellement incessant de la créativité artistique. Le grand poète portugais contemporain Miguel Torga ne dit-il pas : « l’universel c’est le local sans les murs » ?

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Jean-Claude Villain

 

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Catalogue de l'exposition personnelle "Epures" Espace Sadika à Gammarth (Tunisie) 2009

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Deux mains pétrissent une simple boule de terre, l’arrondissent comme une petite planète ou comme un ventre, et par ce geste primitif, doucement un monde, à la fois intime et cosmique, se crée. Car la terre, sans doute plus que tout autre matériau, induit pour l’artiste qui la travaille, un lien entre le plus archaïque, le plus profond de soi et la vastitude du monde. Certes le feu primitif s’est éteint, mais par la cuisson il sera rappelé. Et son opposée complémentaire, l’eau, nécessaire à éprouver la souplesse et la douceur des formes, est là puisée dans le petit bassin de barbotine. L’air du séchage, si évident qu’on l’oublie, vient compléter le carré des quatre éléments premiers énoncés par la physique antique.
Les formes proposées par Marie-José Armando, les installations par lesquelles elle les agence, participent directement de ce qu’on reconnaît aujourd’hui comme « art contemporain ». En réalité la céramique –art le plus archaïque sans doute avec la taille de la pierre- n’a pas d’âge : les styles, les appartenances supposées à des cultures et des époques, balisent de façon très relative l’axe du temps. Quand aujourd’hui Marie-José Armando fabrique des bols en raku on peut les confondre avec une pièce japonaise du XVII° siècle tout comme, lorsqu’un artiste d’art brut modèle une forme d’apparence fruste on croit reconnaître une pièce millénaire de quelque musée archéologique ou lorsque Picasso peint un chouette il s’apparente de façon troublante, sans le savoir, au peintre de la grotte Chauvet, 32000 ans avant lui. Néanmoins la modernité « contemporaine » de Marie-José Armando est immédiatement perceptible dans l’épure abstraite de ses formes qui se développent quasi d’elles-mêmes, en beauté pure, sans fonction destinée ni sens apparent, selon un agencement qui fascine d’abord avant de questionner. En séduisant notre regard et en imprégnant notre être par la captation d’une émotion sans mots, cette esthétique certes se suffit et n’a a priori nul besoin d’autre justification que la magie intime que cette captation produit. Cependant pareilles formes n’atteignent pas cette justesse sensible par une gratuité de hasard, une improvisation pure, mais parce qu’elles sont irriguées, signifiées de l’intérieur.
Souvent contrastée au noir mat du support, ou par exemple à un amas de fines aiguilles noires teintées à l’encre de seiche, et en elles-mêmes improbable prouesse technique, la blancheur mate des pièces dépourvues d’émail participe tout particulièrement de l’esthétique de cette œuvre. D’aucuns la qualifieraient d’« orientale », référant par là à une esthétique du dépouillement, du vide, « zen » comme on dit parfois pour parler vite. Pourtant ces pièces, portées par une inspiration, nourries d’une intention, ne partent pas de rien, ne relèvent pas d’un vide qui pour être ici sublimement révélé n’en resterait pas moins exempt de tout sens. Elles fascinent parce que sans qu’on puisse dire d’emblée pourquoi et comment, elles génèrent contradictoirement un sentiment double d’étrangeté soudaine et d’intime reconnaissance. Pour l’alphabet de formes –potentiellement infini- qu’elle décline, Marie-José Armando (il suffit de prendre connaissance de quelques-uns de ses titres) se nourrit d’une observation minutieuse de formes de la nature. Plus qu’à l’esthétique des pierres à laquelle le matériau ferait d’abord penser, c’est l’ordre végétal qui inspire principalement l’artiste, car dans le cheminement de sa créativité, ces formes constituent la phase réalisée d’une autre phase, antérieure, et tout intérieure sinon contemplative, où son œil fasciné a d’abord infusé l’infinie richesse de formes du monde végétal, la profusion créative de ses inventions formelles. Par cette capacité première de regard qui précède son geste, on pressent chez Armando une sorte de mysticisme naturel qui, négligeant la science et un certain naturalisme, alimente une profonde imprégnation esthétique : l’œil en détaillant finement, descend jusqu’aux secrets intimes d’une écorce, d’une fleur, d’une feuille, d’un fruit, pour percevoir les structures modulaires essentielles par lesquelles s’exprime leur originalité. Les œuvres de Marie-José Armando sont donc le plus souvent le développement macroscopique (évidemment réinterprété à la faveur de son sens plastique et de sa sensibilité) de formes du monde végétal, mais parfois aussi minéral comme dans ses galets communiquant étrangement entre eux par les mouvements de leurs arêtes finement polies.
Notre émotion découle de ce que, sans en avoir immédiatement conscience, notre œil reconnaît les géométries élémentaires du monde dont nous sommes, et communie par là à l’universel qui nous constitue. Ainsi art et nature se conjuguent sans s’imiter, l’œil communique avec l’âme, et par l’esthétique, nous approche d’une contemplation naturelle nous en ramenant à la part la plus intime et la plus universelle de nous-mêmes.

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 Jean-Claude Villain


 

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Texte de présentation de l'exposition "Germination" Valbonne 2006

 

Des formes naturelles, simples, parfois si banales que nous ne les voyons plus : graines, noyaux, enroulements végétaux, sont le point de départ du travail que Marie-José Armando présente dans l’exposition Germination.
Réalisées en terre blanche, brute, uniquement biscuitées, certaines sont simplement agrandies ou simplifiées. D’autres, à force d’épuration, sont plus proche de l’abstraction que des éléments naturels qui les ont inspirées.
Privilégiant les jeux d’ombre et de lumière, les compositions murales et les installations au sol naissent de la répétition et de la combinaison de formes presque semblables, ce qui est une des constantes du travail de Marie-José Armando.

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Texte de présentation de l'exposition "En découdre", Maison des Artistes de Cagnes-sur-Mer 1998

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Armando nous propose de toucher la masse sourde pour mieux pénétrer dans les entrailles où se concentre toute énergie de ses petits corps en boules, enroulés, en filament. Chaque parcelle de son travail reconstitue un lieu imaginaire, chacune d’elles est liée à une autre par un fil invisible qui mène au sens. Le toucher des mains ou des yeux de ces atomes germes, si féconds à se multiplier, nous fait embrasser physiquement un champ entier d’un développement concentré qui mène à une trajectoire primordiale et essentielle.
L’acte, qui sculpte, lisse, malaxe ou grave, rejoint l’énergie du geste initial. L’artiste devient le géomètre, qui explore la complexité de l’espace, par l’amoncellement des particules, où le courant vital s’éveille quand l’existence de l’œuvre prend corps.
Dans cette topologie tactile et polysensorielle, on est au cœur de l’univers, au passage souterrain qui mène à une vie plus ample. C’est dans ce territoire extrême que le sculpteur ne cesse de se soumettre.
Chaque élément façonné recompose une sorte de tout dynamique et complexe, qui convoque, creusements, feuilletages et passages du geste intègre et obstiné parlant de la matière pour pénétrer un jardin de lumière. Pour le spectateur les œuvres sont comme des champs magnétiques. La distance, qu’elles exigent, varie selon la nature de l’œuvre et l’impact physique qu’elle a sur vous. Les formes sont « aperspectives de l’acte graphique », ces « dispars » profonds que Jacques Derrida décrit comme mémoire aveugle, où l’inscription de l’indescriptible ne se voit pas, afin que les choses vous entraînent dans leur enchaînement.
On est attiré par cet œuvre où l’artiste tente de donner une forme fragile et énigmatique, à un flux, à une nuée qui est entrée en résistance assumant ce qui la constitue.

M. Dupré O’Mooles

 

 

 

Présentation d'"Echouées", installation réalisée dans la palmeraie de Tozeur dans le cadre du 1er Festival de Land Art en Tunisie

 

Le Land Art recouvre aujourd’hui des démarches extrêmement différentes, allant de l’utilisation du paysage comme simple décor pour y inscrire une œuvre pré-existante (plus ou moins pérenne) dont le dialogue avec le lieu est recherché et dans lequel chacun des deux est supposé enrichir l’autre, jusqu’à la démarche plus extrême de Andy Goldsworthy qui, sans idée pré-conçue, se laisse inspirer par les propositions que le lieu peut lui offrir, et qui crée des œuvres éphémères.

 

C’est de cette dernière démarche dont je me sens la plus proche : être à l’écoute d’un lieu, voir quelles en sont les richesses, les potentialités, et tenter de les révéler par une intervention la plus simple, et la moins intrusive possible. Mon seul but est de rendre visible la beauté et la charge poétique d’éléments naturels si répandus qu'il y a risque de ne pas les voir tellement leur présence paraît "naturelle", "évidente".

 

Installé au cœur de la palmeraie de Tozeur, « Echouées » est donc entièrement réalisé avec des éléments naturels trouvés sur place : palmes laissées au sol après l’élagage, branches coupées dont les dattes ont été récoltées, fibres détachées des troncs, tout, à l’exception de quelques feuilles de bananiers (qui poussent eux aussi à proximité dans la palmeraie), est issu des palmiers au milieu desquels« Echouées » a pris place. 

 

De végétaux devenus inutiles, épars sur le sol en attendant d’être brûlés, ils sont devenus les éléments constitutifs de cette œuvre éphémère, les matériaux d'un langage dont l'intention est la manifestation un peu plus accentuée d'un milieu, et de ses éléments. Cela vise simplement et de façon ouverte, non directive, la mobilisation originale et suggestive du regard du "spectateur", et non la volonté de "dire" ou "transmettre" un quelconque message, plus ou moins préalablement constitué. La "justesse" de l’œuvre produite, si elle existe, dépend avant tout de ce lien, quasi spontané, par lequel se prolonge l'élément végétal selon cette "utilisation" momentanée et faiblement détournée, que l'artiste en fait.

 

Au milieu d’une allée de grandes palmes qui délimitent l’installation, serpente sur la terre une ligne (constituée de branches plus ou moins courbes), qui s’enroule autour de cercles de  fibres, de cosses, de branches disposées en spirales.

 

Dessiner, créer des formes, non plus avec un crayon ou un pinceau, mais en agençant ces éléments naturels, est pour moi une façon de capter le regard du promeneur et de révéler, à ceux qui passent à côté d’eux sans les voir, la beauté de ces formes naturelles.

Une fois tous ces végétaux à nouveau dispersés par le vent, les chiens, les travaux des hommes, la palmeraie redeviendra comme avant : rien n’y a été ajouté qui aspire à quelque chose de pérenne, qui signale une "intervention artistique" plus ou moins signée. Quelques éléments auront seulement été provisoirement, éphémèrement, déplacés. Si l’œuvre atteint son but, le regard de quelques visiteurs aura lui aussi été déplacé. Tout autant leur regard sur et dans la nature aura tant soit peu changé et leur vision, ici de la palmeraie, ailleurs d'un autre espace, sera chez eux, non plus une simple réception visuelle, mais un possible réagencement personnel, subjectif, au gré de leur imagination et de leur attention plus fine aux richesses potentielles des matériaux de la nature comme éléments d'un langage plastique et d'une esthétique. C'est là une des versions de ce que le "Land art" peut recouvrir.

 

Marie José Armando (in catalogue du festival, Hippocampe, Tunis, 2013)

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"Tunisia- Turbulences" Contemporary Artists from Tunisia

Imago Mundi- Luciano Benetton Collection- Fabrica

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... Elle utilise comme matériau de prédilection, la terre cuite (généralement non émaillée, et non décorée). Son oeuvre compte aussi bien de très petites pièces que de grandes installations, d’art contemporain. Ses formes, très épurées, souvent inspirées par la nature, relèvent de ce qu’il est convenu d’appeler « un esprit zen ». Dépouillée son esthétique tend à valoriser l’épure des formes et des ensembles produits.

Elle participe à de nombreuses expositions depuis 1989 et est présente dans des  collections publiques et privées, en France et à l'étranger.

 

 

 

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